Quand tu déroules à l’envers tes souvenirs…
Quand te semble venu le temps de faire le point… quand tu t’émeus à l’évocation d’un souvenir, serait-ce que ???
On pourrait évoquer l’analogie du moment où les mourants voient une lumière et que le film de leur vie passe devant leurs yeux.
Je ne sais pas. Peut-être est-ce un signe, une manifestation de ce qui me chagrine dans ma vie, le fait que je n’ai pas terminé de vivre certaines choses et qu’il faut, parfois, laisser des choses en l’état et accepter l’inachèvement.
J’ai gardé un joli collier fait de coquillages, qu’un chauffeur africain avec qui j’avais bien sympathisé m’avait rapporté de ses vacances, sans autre but que de me faire plaisir parce qu’il appréciait nos rencontres quotidiennes quand il venait « faire la ramasse » à l’entreprise où je travaillais comme magasinier-préparatrice de commandes (« magasinière », je peux pas !).
Je ressens encore l’émotion qui m’a touchée quand il me l’a offert. Je l’ai toujours gardé et il fait partie des petits bidules que j’ai disséminés tout autour de moi et qui évoquent des moments chaleureux, passés, mais qui ont été forts.
Un jour, ce chauffeur n’est plus venu, il m’avait dit qu’il changeait de tournée, oui, ils font ça régulièrement, paraît-il que quand les gens se connaissent trop, ça peut conduire à des arrangements douteux. Sa gentillesse, sa gaieté et son merveilleux sourire m’ont immédiatement manqué. J’ai rarement rencontré des gens aussi humbles et joyeux.
L’autre truc qui m’aiguillonne l’esprit, c’est ma table à manger.
Son histoire est impressionnante, c’est ce genre de hasard tout à fait singulier.
Mais ne serait-ce pas le propre des hasards ?
Elle a été fabriquée au Maroc par un barde breton, menuisier de son état principal (ou secondaire, je l’ignore, ne l’ayant pas connu) et a été rapatriée – avec lui et son cercueil qu’il avait de même fabriqué – quand, malade et pauvre, il a demandé à son ami Yann de l’aider à rentrer en Bretagne pour y mourir.
Cette table, d’un bois dont j’ignore l’essence, je l’ai acquise dans une brocante, en Vendée, assortie de l’article de journal relatant le décès de ce Breton. Il devait être assez connu dans sa région qu’il avait quittée, pour bénéficier d’un article dans Ouest-France !!
Et voici ce qui me bluffe :
Voilà qu’il arrive que nous décidons de venir vivre en Finistère, dans le pays de Brest. Avec la table. Et un jour, quelques années après notre installation, je relis l’article de journal et je réalise que Yann avait fait enterrer son ami dans son caveau familial, qui se trouve… à Brest !
Donc, la table est revenue auprès de son créateur. Pas croyab’.
Je reste sidérée par ce censé hasard. Je ne m’en remets pas.
Ainsi, tous ces manifestes de vécu, apposés aux souvenirs auxquels ils sont rattachés, restent vivants et présents, parce qu’ils font partie de moi, sont mes composantes, et que je ne sais pas les laisser à leur place de passé.
D’ailleurs, est-ce leur place ?
Quand quelque chose de fort nous arrive, cela nous change. Et cette nouvelle personne est toujours celle d’avant. Quoique. Peut-être que c’en est une nouvelle. Toute remodelée et augmentée de ce nouvel ajout de vie.
Ainsi (bis), la profession que j’ai embrassée se place bien dans la continuité de ce que j’ai toujours été : une curieuse, avide de lire des choses bien mises et de participer à la vie alentour. Je suis comblée, cela me donnant envie d’écrire, puisque ma pratique enrichit mon esprit et je vois maintenant mon passé comme une composante de mon présent.
De la mort, point n’est question. Je n’ai rien terminé.